30 avril - 18 août 2025
Exposition

Dans le flou, une autre vision de l'art de 1945 à nos jours

Hans Hartung, T1982-H31, 1982, acrylique sur toile, 185 × 300 cm, Antibes, Fondation Hartung-Bergman Source : © Fondation Hartung-Bergman © Hans Hartung / Adagp, Paris 2025

Hans Hartung, T1982-H31, 1982, acrylique sur toile, 185 × 300 cm, Antibes, Fondation Hartung-Bergman Source : © Fondation Hartung-Bergman © Hans Hartung / Adagp, Paris 2025

Claude Monet, Le bassin aux nymphéas. Harmonie rose, 1900, huile sur toile, 89,5 × 100 cm, Paris, musée d’Orsay. Source : RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

« Au vrai, on ne voit rien. Rien de précis. Rien de définitif. Il faut en permanence accommoder sa vue. » (Grégoire Bouillier, Le Syndrome de l’Orangerie, 2024).

Les Nymphéas ont longtemps été regardés par les artistes ou étudiés par les historiens comme le parangon d’une peinture abstraite, sensible, annonciatrice des grandes installations immersives à venir. En revanche, le flou qui règne sur les vastes étendues aquatiques des grandes toiles de Monet est resté un impensé. Ce flou n’avait pas échappé à ses contemporains, mais ils y voyaient l’effet d’une vision altérée par une maladie oculaire. Il nous semble aujourd’hui pertinent et plus fécond d’explorer cette dimension de l’œuvre tardif de Monet comme un véritable choix esthétique dont la postérité doit être mise au jour.

Cette exposition fait délibérément du flou une clé qui ouvre une autre lecture d’un pan entier de la création plastique moderne et contemporaine. D’abord défini comme perte par rapport au net, le flou se révèle le moyen privilégié d’expression d’un monde où l’instabilité règne et où la visibilité s’est brouillée. C’est sur les ruines de l’après-Seconde Guerre mondiale que cette esthétique du flou s’enracine et déploie sa dimension proprement politique. Le principe cartésien du discernement, qui prévalait depuis si longtemps en art, apparaît alors profondément inopérant. Devant l’érosion des certitudes du visible, et face au champ de possibles qui leur est ainsi ouvert, les artistes proposent de nouvelles approches et font leur matière du transitoire, du désordre, du mouvement, de l’inachevé, du doute… Prenant acte d’un bouleversement profond de l’ordre du monde, ils font le choix de l’indéterminé, de l’indistinct et de l’allusion. Leur mise à distance de la netteté naturaliste va de pair avec une recherche de la polysémie qui se traduit par une perméabilité des médiums et une place accrue accordée à l’interprétation du regardeur. Instrument de sublimation tout autant que manifestation d’une vérité latente, le flou se fait à la fois symptôme et remède d’un monde en quête de sens.

Insaisissable par essence, l’esthétique du flou se dessine dans l’écart ; non par opposition frontale à l’objectivité clinique d’un monde sous haute surveillance, mais plutôt comme un jeu d’équilibrisme dans les interstices du réel ; un écart qui ne réside pas dans le rejet ou le déni de la trivialité du monde mais en explore de nouvelles modalités. À la limite du visible, le flou, en même temps qu’il trahit une instabilité, crée les conditions d’un ré-enchantement.

Le parcours de l’exposition suit un fil thématique et non chronologique. Une salle introductive est consacrée aux racines esthétiques du flou au xixe et au tournant du xxe siècle, faisant suite aux bouleversements intellectuels, scientifiques, sociétaux et artistiques avec lesquels l’impressionnisme a grandi. L’exposition est ensuite organisée en trois grandes sections, mêlant peintures, vidéos et photographies. Après une exploration des limites de la perception, « aux frontières du visible », « l’érosion des certitudes » aborde le flou sous un angle historique et politique en interrogeant les questions de mémoire et de statut des images en regard des épisodes tragiques qui ont émaillé notre histoire contemporaine. Ce recours au brouillage de l’image excède toutefois la dimension collective: il se teinte d’un caractère poétique, voire onirique, lorsqu’il touche à la question de l’identité et fait « l’éloge de l’indistinct ». Un épilogue ouvre le propos et questionne la possibilité d’un réenchantement du monde, en réponse à l’affirmation tremblée de l’artiste Mircea Cantor, « unpredicteble future ».

Exposition conçue par le musée de l’Orangerie, Paris avec la collaboration de La Caixa Foundation et présentée au musée de l’Orangerie, à La Caixa Foundation de Madrid puis à La Caixa Foundation de Barcelone.

COMMISSARIAT
Claire Bernardi, directrice, musée de l’Orangerie
Emilia Philippot, conservatrice en chef, adjointe à la directrice des études, Institut national du patrimoine
En collaboration avec Juliette Degennes, conservatrice, musée de l’Orangerie

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Hans Hartung, T1982-H31, 1982, acrylique sur toile, 185 × 300 cm, Antibes, Fondation Hartung-Bergman Source : © Fondation Hartung-Bergman © Hans Hartung / Adagp, Paris 2025

Claude Monet, Le bassin aux nymphéas. Harmonie rose, 1900, huile sur toile, 89,5 × 100 cm, Paris, musée d’Orsay. Source : RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
Hans Hartung, T1982-H31, 1982, acrylique sur toile, 185 × 300 cm, Antibes, Fondation Hartung-Bergman Source : © Fondation Hartung-Bergman © Hans Hartung / Adagp, Paris 2025