L'oeil de Bénédicte Trémolières
Retrait du vernis dans le ciel des Femmes au jardin de Monet. Source : Bénédicte Trémolières

Bénédicte Trémolières est restauratrice de peinture. Spécialiste de l’impressionnisme, elle est titulaire d’un doctorat en histoire de l’art

Claude Monet, La cathédrale de Rouen. Le portail vu de face. Harmonie brune, 1892, huile sur toile, 107 x 74 cm. Paris. musée d'Orsay. Source : Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Quel est en quelques mots votre parcours professionnel ?
Après une formation chez une restauratrice privée, j’ai fait mes études à l’INP qui était alors située dans l’enceinte des Gobelins. J’ai toujours travaillé exclusivement en libérale pour le secteur public sur des peintures allant du XVIe au début du XXe siècle. J’ai fait quelques chantiers de peinture murale mais mon domaine est principalement la peinture sur toile de chevalet.
Depuis 1996, je travaille régulièrement pour le musée du Louvre et depuis 2007, je suis dans l’équipe des restaurateurs qui ont en charge la collection des peintures du musée d’Orsay.
En 2015 j’ai soutenu une thèse à l’Université de Rouen sur les Cathédrales de Monet. Je suis également enseignante à l’école du Louvre et j’ai donné des cours sur la technique des peintures du XIXe siècle à Paris 1.

Retrait du vernis dans le ciel des Femmes au jardin de Monet. Source : Bénédicte Trémolières
Quelle est la place de l’impressionnisme dans votre pratique générale ?
Importante dans la mesure où je travaille au musée d’Orsay. Ma thèse, qui touche à la matérialité des peintures de cette période, a également contribué à donner de l’importance à cette période dans mes divers travaux. Cependant je continue à intervenir sur des œuvres d’autres siècles. Même si un restaurateur se spécialise dans un domaine, il est nécessaire, me semble t-il, de ne pas s’y cantonner. En changeant de siècle, on peut mieux comprendre les liens et les évolutions des styles de peintures, être plus inventifs dans les méthodes de restauration et mieux comprendre les subtilités des œuvres.

Claude Monet, La Pie, 1868-18669, huile sur toile, 89 x 130 cm, Paris, musée d’Orsay. Source : RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
Y a-t-il des spécificités propres aux œuvres impressionnistes, en ce qui concerne leur restauration ?
Dans la plupart des cas, les peintures impressionnistes sont des peintures à l’huile sur toile. Elles suivent en cela une tradition qui remonte au XVIe siècle. Elles ont cependant des caractéristiques dans l’usage de couleurs claires et dans l’application par touches distinctes, qui induisent un vieillissement particulier.
Le rapport des impressionnistes au vernis et une question cruciale. Ils n’ont pas tous laissé des consignes précises à ce sujet, certains vernissaient leurs peintures d’autres non, mais nous constatons que la présence d’un vernis même peu jauni modifie l’aspect de ces œuvres. La restauration doit donc comprendre et adapter les interventions à ces caractéristiques.

Claude Monet, La Pie, Détails, Paris, muée d'Orsay. Source : Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Comment abordez-vous la restauration d’une œuvre impressionniste, devez-vous faire des recherches au préalable ? Si oui, comment ? Avec quelles ressources ? Faites vous des découvertes, notamment sur la manière de peindre, sur les pigments, les outils, qui alimentent notre connaissance de l’impressionnisme?
La restauration d’une œuvre commence toujours par des recherches sur sa provenance, sa technique, ses déplacements, ses expositions, ses anciennes restaurations. Ces recherches se font avec les historiens de l’art et les scientifiques. Les informations sont rassemblées et étudiées afin de comprendre au mieux la technique et l’histoire matérielle du tableau.
Les peintures du XIXe siècle, parce qu’elles sont encore proches de nous, sont riches en documentations diverses, ce qui offre la possibilité de retracer la vie matérielle des œuvres parfois avec une grande précision.

En cours de restauration au C2RMF des Femmes au jardin de Monet. Source : Bénédicte Trémolières
En quoi restauration et recherche sont-elles complémentaires ?
La restauration est un moment privilégié qui permet un regard croisé sur l’œuvre en mêlant les connaissances technique, artistique et historique. Les peintures, qui sont généralement considérées comme une image, sont alors observées en tant qu’objet composite et complexe, dont la matière porte la mémoire de leur fabrication.
Les échanges entre restaurateurs spécialistes de la matière et du « faire », les historiens et les scientifiques ouvrent ainsi sur de nouvelles questions qui enrichissent considérablement l’étude des œuvres.
Pouvez-vous nous détailler la restauration d’une œuvre impressionniste qui vous a particulièrement marquée et pourquoi ?
Ce serait très long et fastidieux de détailler une restauration. Les étapes sont nombreuses et difficiles à décrire tant elles utilisent un langage technique spécifique.
Il est certain que la restauration de la Famille Bellelli de Degas m’a fait découvrir tout le talent du peintre jeune. La matière et la mise en œuvre de ce tableau, dont l’histoire est très complexe et passionnante, ont été complétement reconsidérées lors de la restauration. Les échanges avec les conservateurs, les historiens et les scientifiques ont permis une relecture de cette première période de Degas tout en laissant de nombreuses questions en débat.

Edgar Degas, Portrait de famille dit aussi La famille Bellelli, entre 1858 et 1869, huile sur toile, 200 x 249,5 cm, Paris, musée d'Orsay. Source : Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

Degas, La famlle Bellelli, Avant et après restauration. Source : Bénédicte Trémolières
Bénédicte Trémolières, « L’Œil de Bénédicte Trémolières », Impressionnisme.s [en ligne], mis en ligne le 20 Jan 2025 , consulté le 10 Feb 2025. URL: https://impressionnismes.fr/debat/loeil-de-benedicte-tremolieres/