1886
Claude Monet

Essai de figure en plein air : Femme à l'ombrelle tournée vers la gauche

Par Olivier Schuwer

Claude Monet, Essai de figure en plein-air : Femme à l’ombrelle tournée vers la gauche, 1886, huile sur toile, 131 x 88 cm, Paris, Musée d’Orsay

Claude Monet, Essai de figure en plein-air : Femme à l’ombrelle tournée vers la gauche, 1886, huile sur toile, 131 x 88 cm, Paris, Musée d’Orsay

À l’aube du symbolisme, Claude Monet se lance dans des Essais de figures en plein air où il met en scène,
en de longues séances de pose [1], sa belle-fille Suzanne Hoschedé.

Femme tournée vers la gauche, vêtue d'une robe blanche, se protégeant du soleil avec une ombrelle, dans un champ

Claude Monet, Essai de figure en plein air : femme à l'ombrelle tournée vers la gauche, 1886, huile sur toile, 131 x 88 cm, Paris, musée d'Orsay. Source : RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Stéphane Maréchalle.

Ce retour à la représentation humaine – qu’il avait abandonnée
 en 1879, suite à la mort de sa première femme Camille – est aussi l’occasion d’un retour sur son œuvre passé.

Dans cette toile peinte en 1886, l’artiste n’hésite pas à reformuler un tableau peint dix ans auparavant, La femme à l’ombrelle (1875) dont 
il reprend précisément le motif, le cadrage en contre-plongée et l’éclairage à contre-jour.

Par-delà l’apparente légèreté d’une scène
 de promenade, évoquant les loisirs dominicaux de la bourgeoisie du XIXe siècle, ces deux œuvres mises en regards donnent, ainsi que l’observe justement Ségolène Le Men, « l’effet de personnages reparaissant, où des protagonistes d’une nouvelle génération remplacent ceux de la précédente. » [2] Monet semble effectivement avoir projeté l’image de sa première femme, Camille, sur ce nouveau modèle auquel il prête des traits semblables et une même attitude mélancolique, si l’on rapproche par exemple la Suzanne aux soleils de 1890 du Portrait de Camille au bouquet de violettes (1877) [3].

Femme et enfant dans un champ ensoleillé, se protégeant du soleil avec une ombrelle

Claude Monet, Femme à l'ombrelle - Madame Monet et son fils, ou La Promenade, 1875, huile sur toile, 100 x 81 cm, Washington, National Gallery of Art. Source : National Gallery of Art, CC0 Public Domain.

Dans cet Essai de figure en plein air, Monet a installé sa belle-fille, Suzanne, dans la position exacte qui fut celle de sa première épouse posant pour La Femme à l’ombrelle. L’artiste, en revenant sur son œuvre, revient donc sur sa vie passée, dans une peinture qui se charge de souvenirs. Alors que se dessine encore le regard de Camille tourné vers Monet dans le tableau de 1875, celui de Suzanne en 1886 s’efface entièrement sous un voile bleuté, qui semble définitivement la faire basculer du côté du spectre. « Fantomale et réelle » note l’ami du peintre, Octave Mirbeau, qui n’hésite d’ailleurs pas à rapprocher les Suzanne peintes par Monet de la Ligeia d’Edgar Poe.

“ Involontairement, l’on songe à quelque Ligeia, fantomale et réelle, ou bien à quelqu’une de ces figures de femme, spectres d’âme comme 
en évoquent tels poèmes de Stéphane Mallarmé. ”

Octave Mirbeau, « Claude Monet », L’Art dans les deux mondes, 7 mars 1891, p. 185

Hanté par la mort de sa première femme, comme le narrateur de cette nouvelle de Poe consacrée au veuvage, le peintre ajoute un détail qui ne manque pas d’interroger. Que représente la touche de peinture rouge sang tachant le corset de Suzanne ? Cette fleur pourrait être une allusion au cancer de l’utérus qui a emporté Camille à l’âge de trente-deux ans le 5 septembre 1879 (et qui emportera bientôt Suzanne Hoschedé à trente ans en 1899).

À travers un ensemble d’interférences tant biographiques que plastiques, cette œuvre marque donc un jalon essentiel dans le basculement introspectif de Monet et de son œuvre, qui ne cessera plus d’être hantée par la question du souvenir, de la mémoire et du spectre, ainsi que l’a montré Richard Thomson [4].

[1] Claude Monet, cité par Lilla Cabot Perry dans « Reminiscences of Claude Monet from 1889 to 1919 », The American Magazine of Art, mars 1927.
[2] Ségolène Le Men, Monet, Paris, Citadelles & Mazenod, 2010, p. 291.
[3] Claude Monet, Suzanne aux soleils, 1890, huile sur toile, 162 x 107 cm, collection privée (W. 1261) ; Portrait de Camille au bouquet de violettes, 1877, huile sur toile, 116 x 88 cm, collection privée (W. 436)
[4] Richard Thomson, « Intériorité, mémoire, nostalgie », dans Guy Cogeval, Sylvie Patin, Sylvie Patry et. al., Claude Monet, 1840-1926, cat. expo. [22 septembre 2010-24 janvier 2011 Paris, Galeries Nationales du Grand Palais,], Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2010.

Pour citer cet article

Olivier Schuwer, « Essai de figure en plein air : Femme à l'ombrelle tournée vers la gauche », Impressionnisme.s [en ligne], mis en ligne le 19 Jun 2024 , consulté le 10 Feb 2025. URL: https://impressionnismes.fr/oeuvre/monet_essai_figure_pleinair/

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Claude Monet, né le 14 novembre 1840 à Paris et mort
 le 5 décembre 1926 à Giverny, est une des principales figures de l'impressionnisme

Claude Monet, Essai de figure en plein air : femme à l'ombrelle tournée vers la gauche, 1886, huile sur toile, 131 x 88 cm, Paris, musée d'Orsay. Source : RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Stéphane Maréchalle.
Claude Monet, Femme à l'ombrelle - Madame Monet et son fils, ou La Promenade, 1875, huile sur toile, 100 x 81 cm, Washington, National Gallery of Art. Source : National Gallery of Art, CC0 Public Domain.